“Les marques d’upcycling ont du mal à mettre en place une chaine approvisionnement”, Stéphanie Sibaud

Stephanie Sibaud, Consultante Achats & Supply Chain - Luxe / PAP / Lingerie
Consommer moins mais mieux. Le vêtement qui pollue le moins est celui qu’on possède déjà.

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Les problématiques d’upcycling que rencontrent les marques 

Interview
On a envie de vous connaitre. Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Stéphanie Sibaud Guitard.  Je consultante spécialisée dans les achats et la Supply Chain dans le luxe, le PAP et la lingerie via mon cabinet de conseil AS Consulting.
Pouvez-vous expliquer en quelques lignes votre activité et votre positionnement ?
Après avoir travaillé 5 ans pour la marque Christian Dior en tant que chef de produit puis 10 ans pour le Groupe Chantelle en tant qu’acheteur stratégique, j’ai créé mon cabinet de conseil il y a 4 ans. 
Je conseille les marques dans leur stratégie de sourcing et je les aide à acheter et produire de façon plus responsable.
Exemples concrets : 
Je travaille beaucoup avec les institutions et fédérations, notamment avec la fédération de la maille de la lingerie et du balnéaire afin de conseiller leurs adhérents tels que Lacoste, DIM, Petit Bateau et bien d’autres sur les nombreux problématiques et enjeux liés à la chaine d’approvisionnement textile.
Des enjeux tels que : 
  • la relocalisation en proche import pour une partie de leur production
  • Favoriser le Made In France et créer tout un nouveau réseau de partenaires industriels
  • Répondre aux exigences de la loi AGEC en terme d’affichage environnemental, de calcul de l’empreinte environnementale des produits au niveau européen 
  • Traçabilité, certifications, labels afin que le consommateur puissent être informé et consommer de façon éclairée.
Je travaille aussi beaucoup avec de jeunes marques qui connaissent un fort développement et qui ont besoin d’optimiser et sécuriser leur sourcing : trouver de nouvelles usines, de nouveaux fournisseurs de matières, utiliser des matières plus responsables, recyclées, certifiées, etc.
Nouveaux enjeux : Upcycling et sourcing ?
Ces dernières années les différentes crises, guerres, les pénuries des matières premières, l’envolée des cours de l’énergie et des transports ont mis à mal toutes les chaînes d’approvisionnement textiles.
Le sourcing textile est en pleine mutation : il y a encore quelques années le sourcing des grandes marques était principalement délocalisé et externalisé ; aujourd’hui il y a une volonté des acteurs de mettre en place un sourcing plus responsable et local.
Certains enjeux sont donc devenus clés en terme de sourcing :
1– Le choix des matières premières :
80% de l’empreinte carbone d’un vêtement provient de la matière dans lequel il est confectionné.
2– Confectionner des vêtements en facilitant le recyclage, l’upcycling et en allongeant leur durée de vie : 
Aujourd’hui, moins de 1 % des tissus qui composent nos vêtements sont recyclés pour en faire de nouveaux. Les matières recyclées issus de textiles usagés sont majoritairement utilisées pour des produits d’autres industries : automobile, isolation etc.
Aujourd’hui un vêtement est souvent conçu à partir de mélange de fibres (polyester, coton, élasthanne, etc.), les matières une fois tissées ou tricotées subissent de nombreux traitements pour améliorer leurs aspects et propriétés finales (on appelle ça l’ennoblissement : délavage, l’émerisage afin d’avoir un toucher dit « peau de pêche », le grillage ou flambage traitement qui évite le boulochage, le blanchiment, etc.) et par l’utilisation de nombreuses pièces métalliques appellées points durs en recyclage (zips, boucles, pressions, œillets, boutons, anneaux, etc)
Toutes ces tendances rendent leur recyclage difficile, laborieux et coûteux.
Nous devons donc privilégier un vêtement avec peu de mélanges de fibres (car un vêtement mono fibre ou bi-fibres sera plus facile a recycler : ex recyclage des jeans 1083).
Pour info : un article textile avec 3 voire plus de composants/fibres ne pourra pas être recycle par une grande partie des filières de recyclage + de même un article avec plus de 5% d’élasthanne (ex : certains sous-vêtements, maillots de bain, les jupes et les pantalons stretch) ne pourra pas être recycle de façon mécanique or c’est la filière de recyclage est la plus utilisée en France.
3– Vers un sourcing plus responsable, durable, transparente :
l’industrie de la mode doit se transformer. Cependant la chaîne d’approvisionnement textile est très complexe.
De très nombreux acteurs interviennent tout au long de la chaine : filateurs, des tisseurs /tricoteurs, ennoblisseurs (imprimeurs, etc.), des usines textiles qui ont chacune leur spécificité produits et qui sont localises dans le monde entier.
Certaines jeunes marques ne savent pas quelles sont les actions prioritaires à mener afin de mettre en place une démarche RSE, d’être plus transparente sur leur sourcing matières et leur chaine de production et diminuer l’impact global de ses collections.
Il faut donc proposer des outils, des services, mettre a disposition des informations qui facilitent et accélèrent la transformation du secteur textile.
Exemple : C’est tout l’enjeu de mes interventions lors des afterworks du club des jeunes créateurs organises par la Fédération de la Maille, de la Lingerie et du Balnéaire régulièrement tout au long de l’année.
4– Enjeu lié à un nouveau mode de consommation :
Confectionner uniquement les vêtements dont les clients ont vraiment besoin. 
On parle de Slow Fashion versus Fast Fashion.
Ce changement de mode de consommation impacte toute la chaine de production : produire en plus petite quantité, de façon plus agile et flexible. 
Il faut donc aider les marques qui souhaitent développer la production a la demande, en pre-commande, en demi mesure voire sur mesure, etc, à optimiser leur Supply Chain.
Ex :  les Jupons de Louison : c’est une marque de PAP feminin qui s’adapte a chaque morphologie grâce au concept de demi-mesure en proposant plusieurs longueurs pour chaque piece. La fabrication est 100% francaise et fonctionne sur le principe de la précommande. 
L’idée était de mettre en place un planning de production qui repond aux contraintes industrielles des usines partenaires.
Quels sont les sourcing de matières alternatives que vous proposez régulièrement ?
J’aide les marques à optimiser leur sourcing de matières : cela va du choix du fil, en passant par le choix du tisseur / tricoteur jusqu’aux imprimeurs, brodeurs, les fournisseurs d’accessoires, etc.
Le choix des matières premières utilisées dans les collections est un enjeu clé :80% de l’empreinte carbone d’un vêtement provient de la matière dans lequel il est confectionné.
1– En essayant de nous fournir en matières aussi locales que possible et en privilégiant les matières naturelles nous diminuons l’impact global de notre produit.
Exemples de matière locale et naturelle : le lin : nous sommes le 1er pays producteur de lin ; toute la chaine d’approvisionnement ce fait dans un circuit court via le filateur Safilin qui vient de relancer une filature en France ( avant en Pologne), les fournisseurs  Velcorex via ses entités Philea, Emanuel Lang et a même lance son premier jean en lin 100% Made In France.
2– L’utilisation de matières recyclées mais testées et validées au niveau industrie.  J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt le projet La Renaissance Textile qui vient de se concrétiser et qui a lancé la première ligne française de production de fibres recyclées.
Ces acteurs maitrisent maintenant toute la chaine de recyclage textile : de l’effilochage de vêtements en fin de vie jusqu’à la production et la commercialisation de nouvelles matières. Aujourd’hui grâce a ce projet je peux proposer a mes marques des nouveaux tissus recycles 100% français. 
Nous devons privilégier les fibres recyclées si celles-ci ne réduisent pas la durée de vie du vêtements : les fibres recyclées doivent être suffisamment longues, solides, peu abimées par les nombreux traitements.
Exemples concrets : probleme de qualite des fibres recyclees utilisees lors de la confection de pulls besoin de changer de fils recycles (Real Stamm / Royal Mer). 
Quels sont les problématiques d’upcycling que les marques rencontrent ?
Les marques d’upcycling ont du mal à mettre en place une chaine d’approvisionnement, de collecte et d’upcycling fiable, stable, de qualité afin de sourcer les vêtements usages et leur donner une seconde vie.
Elles ont chacune leurs spécificités produits :
Exemple – Chemise de Papa : le concept de la marque est de redonner vie aux chemises des papas en créant un vestiaire pour enfants.
Exemple – Teorum : marque de PAP et d’accessoires qui redonne une seconde vie aux combinaisons en néoprène.
Ces marques ne connaissent pas ou peu les acteurs de l’économie circulaire, les filières de recyclage textile notamment tous les grands acteurs de collecte et de tri tel que Le relais, La Tresse (centre de tri en Dordogne qui collecte 3 000 tonnes de textile par an) ou ont beaucoup de mal à entrer en contact avec eux :
Ces spécialistes de collecte et de tri sont dans une logistique/ fonctionnement industriel.
Souvent les collectes de vêtements usages pour développer leurs nouvelles collections se font au démarrage de façon artisanale : collecte via les écoles, les réseaux de proximité (la ruche qui dit oui), partenariats ponctuels avec d’autres marques
Exemple : Collaboration Cyrillus /La chemise de Papa : creation d’une mini collection a partir d’un stock de chemises d’homme.
Visite du Relais Vale de Seine avec Helene la fondatrice de la marque La chemise de Papa : ils collectent chaque année environ 5 500 tonnes de textiles mis dans 1 000 bennes, (pour une capacité de tri oscillant entre 3 500 et 4 000 tonnes à l’année).
La marque Teorum a réussi a mettre en place en 4 ans une filiaire d’approvisionnement  de collecte et d’upcycling pérenne :
1– Partenariat au démarrage avec des clubs nautiques puis très rapidement des partenaires plus importants tels que la Societe Nationale des Sauveteurs en Mer ( environ 1 tonne par an), les pompiers et également des structures commerciales telles que Decathlon et Le vieux Campeur ( recyclage de 3 tonnes et demi via les 2 entreprises).
2– Partie tri, découpe et lavage se fait encore de manière artisanale mais la volonté de Teorum est de collaborer prochainement avec une ESAT.
3– Le relais est ensuite pris par les usines partenaires exclusivement en France dans le grand ouest en fonction des spécificités produits : maille rectiligne (commercialisation en B to C) et leur nouvelle catégorie de produit les accessoires type pochette d’ordinateur (commercialisation en B to B et B to C). 
Exemples de quelques marques qui ont une bonne stratégie upcycling !!
Bodiane : marque de combinaisons en néoprène pour les sports aquatiques dédiée aux femmes et aux petites filles de 8 à 12 ans qui allie confort et style.
Il y a 3 ans quand j’ai rencontré Silvia, la fondatrice de la marque, son projet était de produire ses collections en circuit court en Europe.
Gros challenge car il s’agissait pour moi de créer toute une nouvelle chaine d’approvisionnement :
  • les fabricants leader du marché du néoprène sont localisés en Asie ainsi que les usines spécialisées dans ce type de produits très techniques.
  • Rechercher un partenaire européen qui disposait de stocks : Utiliser des stocks dormants en Italie.
  • 1 an et demi de recherche, de nombreux tests effectués avant de trouver le bon partenaire en Europe de l’Est capable de confectionner ce type de produit.
Le deuxième challenge était d’utiliser des combinaisons usagées et de les valoriser en les intégrant dans la nouvelle collection. Travail très long de mise au point et de réglages machines avec l’usine afin de s’assurer que ces empiècements de combinaisons usagées n’auraient aucun impact négatif en terme de bien aller, de durée de vie du produit, etc.
Upcycling Summit à Lyon est un rdv des acteurs nationaux et européens de l’Upcycling, quel message souhaitez-vous faire passer à cet évènement ?
Je pense qu’il est très important de créer des liens entre les différents acteurs de la filière de l’upcycling que cela soit au niveau des institutions comme les fédérations,  les marques, les acteurs du recyclage, centre de collecte et de tri afin d’agir ensemble pour réduire l’impact global de notre industrie. Je pense que dans ce domaine il y a encore beaucoup à faire.
Qu’est-ce qui vous passionne dans l’univers du sourcing et de l’upcycling ?
La diversité des sujets sur lesquels je suis amenée à travailler que cela soit en terme de matières, de catégories de produits (luxe, PAP , lingerie), de phases de développement des collections (éco-conception, recyclage, upcycling).
J’aime beaucoup être le point d’entrée, le contact entre les marques et l’ensemble des acteurs de la Supply Chain voir de la filière lors de séance de travail qui touchent les différents adhérents de la Fédération par exemple.
Avez-vous quelques conseils à donner à tous ceux qui se lancent dans l’économie circulaire en particulier l’upcycling ?
Il est important de ne pas hésiter à échanger avec l’ensemble des acteurs de la filière, de s’appuyer sur les organismes spécialistes de l’économie circulaire, du recyclage, de l’écoconception afin de concrétiser son projet et pérenniser son entreprise.
Avez-vous une petite anecdote sympa pour clôturer l’interview ?
J’aime particulièrement 2 phrases/ citations qui guident mes choix et actions :
Consommer moins mais mieux. 
Le vêtement qui pollue le moins est celui qu’on possède déjà.

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